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Les sous-titres et leurs implications culturelles

Ecrit par: FATIHBOUGUERRA
Nombre de lectures: 1965
Nombre de mots: 6240

Implicite culturel et enseignement de l'anglais : l'ellipse dans le sous-titrage

 

Discours, pragmatique et référence

"Mais c’est sans doute dans le fonctionnement textuel et la pragmatique interactionnelle du discours que l’effet d’ellipse peut s’avérer être un instrument heuristique intéressant pour rendre compte de la spécificité des énonciations particulières. En effet tout discours est devant la nécessité de ne pas être trop long et la brachylogie n’y est pas toujours une maladresse. L’ellipse est alors liée au schème d’évidence qui permet, seul, de ne pas briser la cohésion du discours."

Cette citation tirée de la présentation de Pierre Sadoulet nous ramène à une question fondamentale concernant le rapport entre le sens propositionnel d’un énoncé et son interprétation. Cette question a particulièrement intéressé les pragmaticiens qui nous ont permis de mieux cerner ce processus en nous montrant l’importance des données contextuelles. Les travaux de Grice sur le principe de coopération qui l’ont amené à formuler ces fameuses maximes nous montrent que si la formulation et l’interprétation du discours ne correspondent pas à proprement parler à un ensemble de règles, elles répondent cependant à un ensemble de principes, et les inférences auxquelles se livrent locuteur (L) et allocutaire (A) ne sont pas le fruit du hasard. L se doit de faire un certain nombre de présuppositions à l’encontre de A : « Il y a un optimum dans le partage des présuppositions. Trop peu, la conversation n’est pas viable, trop elle n’est pas féconde » (Jacques cité par Kerbrat-Orecchioni, p. 341, 1986).

Grice propose quatre maximes parmi lesquelles la maxime de quantité qui correspond à la quantité d’information présente dans un énoncé et que l’on pourrait gloser ainsi :

·        rendez votre contribution aussi informative que nécessaire

·        ne rendez pas votre contribution plus informative que nécessaire

La quantité d’information nécessaire est par ailleurs déterminée par ce que Kerbrat-Orecchioni appelle la « compétence encyclopédique » et ceux que d’autres appellent « background knowledge » ou « common ground », qui se « présente comme un vaste réservoir d’informations extra-énoncives portant sur le contexte » (Kerbrat-Orecchioni, p.  162, 1989) qui vont permettre à A d’aboutir à l’interprétation d’un énoncé.  Comme le montre Clark (1996), pour qu’il y ait communication, les interactants doivent coordonner leurs actions  afin d’éviter que l’échange verbal ne tourne au dialogue de sourd, les interactants devant s’assurer que les référents qu’ils utilisent sont connus de leur interlocuteur. Cet aspect véritablement interactif de la communication (ici littéralement « mise en commun ») implique que, pour que l’échange atteigne sa valeur optimale, les interactants se livrent à diverses spéculations concernant la compétence encyclopédique de leur interlocuteur. C’est donc sur la base de ce que S imagine A connaître que l’échange est orchestré. Ce que Kerbrat-Orecchioni formule de la manière suivante : "l'ensemble des connaissances, croyances, systèmes de représentation et d'évaluation de l'univers référentiel dont disposent les énonciateurs au moment de l'acte de parole (et en particulier les savoirs que L et A possèdent sur la situation de communication et sur leur partenaire discursif, c'est-à-dire les images que L se fait de A et imagine que A se fait de lui, et que A se fait de L et imagine que L se fait de lui" (p. 228).

Par ailleurs, il va de soi que plus il y a communauté entre les interactants, plus le processus de coordination sera automatique ; A l’inverse moins il y aura communauté, plus les interactants devront négocier afin d’aboutir à un cadre référentiel commun. Dans les situations de communication interculturelle, les interactants en raison de leur appartenance à des cultures différentes vont avoir plus de difficultés à jauger ce que l’autre sait ou ne sait pas – autant d’allusions qui ne trouvent aucun écho chez A, ou d’informations superflues fournies par L et qui peuvent éventuellement causer chez A des blessures narcissiques (rien de plus ennuyeux pour un locuteur non-natif que de se voir expliquer ce à quoi un élément du discours,  qu’il connaît depuis bien longtemps, fait référence).

Clark fait la distinction entre deux types de « base commune » : communal common ground et personal common ground, la première correspondant à aux  connaissances attribuées à l’ensemble des membres d’une communauté (en raison de leur appartenance à une même nation, région, profession, club, etc.) tandis que la seconde correspond aux données partagées par les interactants en raison de leurs expériences communes, les interactants ayant pleinement connaissance du fait que leur(s) interlocuteur(s) possède(nt) également ces données. L’appartenance à une même communauté ne correspond donc pas nécessairement au partage d’une même langue ni à l’appartenance à une même nation. Dans notre étude, nous verrons que deux cinéphiles avertis américain et français pourront inférer des ellipses que le spectateur lambda (peu importe sa langue maternelle) ne reconnaîtra pas.

 

1.      Interaction et relation interpersonnelle

 

Si le discours peut tout d’abord être envisagé du point de vue de la référence et de la transmission d’informations (ce que fait la sémantique), on sait à la suite des travaux d’anthropologue tel que Malinowski, qui a été le premier à se pencher sur la fonction phatique du langage et dont les travaux seront repris par les chercheurs de Palo Alto (Bateson, Goffman, Hall), que l’interaction ne fait pas uniquement intervenir le niveau du contenu (contenu propositionnel) mais également le niveau de la relation (c’est par le biais de l’échange verbal que la relation entre les interactants s’instaurent). L’interaction est donc truffée de marqueurs verbaux et non-verbaux (de formes d’adresse : monsieur, mon chéri, mon ami, par exemple mais également de marqueurs para-verbaux : sourires, mimiques, etc.) qui « contribuent à instituer entre les interactants un lien socio-affectif particulier » (Kerbrat-Orecchioni, p. 9, 1992).

Notons que certains énoncés tels que les énoncés présents dans les rituels de salutation n’ont aucune valeur informationnelle ce qui amène la question suivante : quelle place accorder à la fonction phatique du langage dans l’analyse du discours ? Doit-on la reléguer à un plan secondaire et se concentrer sur l’aspect propositionnel (sémantique formelle) ou au contraire lui donner une place de choix dans l’analyse ?

Pour tous les chercheurs inspirés par l’anthropologie ou pour ceux dont les travaux ont une forte orientation empirique, il ne fait aucun doute que la fonction « phatique » ne saurait être reléguée à une place de second rang :

 

"It is not only the most obviously ritualized utterances - greetings, apologies, toasts, etc - that have as their primary function that of oiling the wheels of social intercourse. Looked at from one point of view, this might be correctly identified as the most basic function of language, to which all others - including its descriptive function - are subordinate. Language behaviour is normally purposive. Even coldly dispassionate scientific statements, whose associated meaning is minimal, usually have one of their aims that of winning friends and influencing people.

John Lyons (p. 143)

 

La dimension relationnelle n’est donc pas uniquement présente dans certains rituels, « on ne peut guère concevoir d'échange dont la composante relationnelle soit totalement absente » (Kerbrat-Orecchioni, II, p. 12) ; par ailleurs, il n’est pas toujours aisé de faire la distinction entre ce qui dans un énoncé relève du contenu et ce qui relève de la relation. (voir Kerbrat-Orecchioni, II, p. ).

 

Si l’approche de Grice nous a montré que, du point de vue de la référence, l’ellipse faisait partie intégrante du discours (pourquoi dire ce qui est connu de son interlocuteur ?), les travaux centrés sur la politesse, ceux de Leech en particulier, ont montré qu’il fallait ajouter aux maximes de Grice des maximes ne relevant pas du principe de coopération mais du principe de politesse : maxime de modestie, maxime d’accord, maxime de tact, maxime de sympathie, etc.). En posant le principe de politesse comme archi-principe, on a pu éclairer le fait que les maximes de Grice sont soumises à des variations culturelles : « People who give false route directions to inquiries are legion (…). In this case, the maxim seems to be overridden which is ‘Don’t appear to be stupid or ill-informed’» (Kerbrat Orecchioni, III, p. 69 citant Ervin-Tripp à propos de la maxime de qualité).

 

Selon Hall (1976), deux types principaux de cultures coexistent dans lesquelles les modes de partage entre communication textuelle et contextuelle se distinguent clairement

Certaines cultures sont high-context (hautes en contexte, ou à fort contexte). Dans celles-ci « l’essentiel de l’information est, soit dans le contexte physique, soit “internalisé” (intégré sous forme non exprimée) par l’individu, alors que peu est dans la part codée, explicite et transmise du message » (1976, p. 79).
En revanche, les cultures low-context (à faible contexte ou faibles en contexte) se caractérisent par la nécessité d’expliciter l’ensemble des éléments du message. Hall précise que ce sont là des nuances et que les cas ne sont jamais extrêmes. Néanmoins certaines cultures nationales (Corée, Japon, Chine) apparaissent high-context alors que d’autres (États-Unis, Allemagne, Pays scandinaves) sont caractéristiques de cultures Iow-context.

 

Brown et Levinson (1987) distinguent dans leur modèle d’analyse de la politesse, deux types de politesse : la politesse négative et la politesse positive. Ces deux catégories correspondant schématiquement aux stratégies mises en œuvre par S afin de ne pas heurter la ‘face’ de A (politesse négative), donc de lui laisser sa liberté de choix et d’action, et aux stratégies mises en œuvre par A afin de marquer son appréciation de S (politesse positive). Brown et Levinson introduisent l’ellipse parmi les stratégies relevant la politesse positive (p. 111-121). L’utilisation de l’ellipse dépendant du partage d’une base commune, sans laquelle l’ellipse n’est pas comprise, le lien entre l’appartenance à une communauté donnée et l’utilisation de l’ellipse paraît évident : L va pouvoir avoir recours à l’ellipse uniquement s’il partage une base commune avec A, et s’ils appartiennent donc à une même communauté, l’ellipse va alors fonctionner comme un marqueur d’in-group. En ayant recours à l’ellipse, L va souligner ce qu’il a en commun avec A[1].

 

Schématiquement, ces travaux tendent à montrer que chaque communauté possède un ethos de communication, un ensemble de préférences communicationnelles (diverses façons de se présenter et de gérer la relation interpersonnelle), ainsi distingue-t-on des sociétés plus volubiles que d’autres, des sociétés plus tactiles que d’autres (l’utilisation du toucher est par exemple beaucoup plus élevée à Londres qu’à Paris, Graddol et al.), des sociétés à ethos hiérarchiques que l’on opposera aux sociétés à ethos égalitaires (voir Kerbrat Orecchioni, III,  pour un inventaire de ces différences).  Ces différents aspects de la communication ne sont pas cependant des éléments disparates dont la description relèverait de l’anecdote mais « font système » et font partie intégrante de la culture d’une communauté.

 

2.      Compétence culturelle et didactique

 

Un travail sur l’ellipse dans la traduction de sous-titres et l’analyse de séquences filmées nous paraît particulièrement intéressant du point de vue de l’enseignement/apprentissage de la compétence culturelle – compétence que tout apprenant se doit d’acquérir, au même titre que la compétence linguistique, pour pouvoir communiquer de façon efficace dans la langue cible – ce travail devrait en effet permettre de se pencher sur les différences relevant du domaine de la référence mais également sur celles relevant de la gestion de la relation interpersonnelle et de l’ethos de communication et éventuellement d’apporter un éclairage sur les attitudes et/ou les représentations relatives à un groupe, donc d’élargir le contexte à un supra-niveau du discours ; c’est-à-dire au niveau de la « doxa »,  pour reprendre le terme de Barthes, donc à l’ensemble des représentations socioculturelles stéréotypées qui sous-tendent l’univers discursif de tout locuteur et qui lui apparaissent comme découlant du bon sens.

Cela devrait donc fournir un outil permettant à l’apprenant de prendre conscience de ce que son système de communication a d’arbitraire et de relatif. On sait en effet que « la tendance à poser son propre groupe comme mesure absolue à laquelle comparer tous les autres et à juger les diversités comme des infériorités peut être considérée comme universelle » (De Carlo), lutter contre cette tendance étant évidemment l’objectif de tout travail sur la compétence culturelle.

 

Que la traduction adopte une attitude cibliste (en explicitant ou en trouvant des équivalences) ou sourcière (en utilisant l'emprunt et en comptant sur un spectateur initié), elle oscille sans arrêt entre deux attitudes que l'expert reconnaît, critique ou apprécie. Dans un film, l'implicite culturel donne à voir une dimension cachée et éternellement étrangère (ou pas forcément accessible) au spectateur non initié. Nous tâcherons de déceler et de classer ces occurrences afin de mettre en place une séquence pédagogique visant à développer chez les apprenants une sensibilité pour ces aspects tout en servant un objectif culturel aujourd'hui indispensable. Cela devrait permettre de leur faire découvrir une langue multidimensionnelle et authentique.

Notre corpus repose sur l'analyse du film "Pulp Fiction" de Quentin Tarentino en version originale sous-titrée (la manipulation pédagogique et le support DVD permettront différentes versions : Sans le son, en V.O non sous-titrée, sous-titrée, version commentée).

Notre matériau est disparate et incite à un travail transdisciplinaire étayé par des théories différentes. Cependant, la langue étudiée et son sous-titrage font preuve de démarches spécifiques. Loin d'une analyse technique de spécialistes, nous nous contenterons de cerner les régularités de certains phénomènes elliptiques dont le spectateur doit reconstruire les absences au fur et à mesure du visionnage.

D'un point de vue didactique et pédagogique, l'apprenant/spectateur potentiel développe des savoirs et savoir-faire qui sont susceptibles de le rendre actif et d'accéder à une dimension à reconstruire pour le plus grand plaisir de l'initié en devenir. Ces savoirs devraient être transposables et réactivés.

 

3.         Quels buts pédagogiques et didactiques ?

 

Dans notre perspective didactique, nous essaierons de développer chez les apprenants des savoirs et des savoir-faire qui leurs permettront de passer d’un système langagier à un autre, même de façon superficielle en raison de la situation pédagogique, afin de mieux percevoir l’acquisition d’une langue étrangère comme l’acquisition d’une autre vision du monde et d'être au monde, dont les ellipses culturelles sont significatives.

P. Riley définit trois types de savoirs correspondant à trois appellations : Know that (stable background knowledge) know of (ephemeral knowledge like topical news) know how (how to act properly). Le premier correspond aux connaissances encyclopédiques (l'histoire du pays par exemple), le second à l'actualité (au moment de notre écriture, l'intervention britannique en Irak ou les méfaits du petit dernier de la famille Royale), le dernier enfin correspond aux comportements adéquates (par exemple, la politesse sous toutes ses formes, les rituels quotidiens, les comportements standards attendus dans une situation donnée).

 

4.         Analyse du corpus

 

Nous nous situons pour notre analyse dans le champ de la traductologie, à la croisée de la sociologie et de la linguistique. On pourra donc emprunter la terminologie de Claude Demanuelli et sa notion de périlinguistique civilisationnelle : celle-ci correspond à ce qui se trouve autour de la linguistique (paralinguistique, extralinguistique…) et ce qui touche à la sociolinguistique. L'approche extralinguistique se propose de repérer les liaisons entre le discours et la réalité : le contexte historique, social, culturel, politique, idéologique, littéraire où le discours se situe et dont le discours est la représentation. Le discours fournit des informations sur les faits historiques, politiques et culturels, les valeurs, les usages et les modes de vie de la société représentée.

 

4.1 Trois angles d'approche de la traduction :

 

4.1.1 La nature et la portée du phénomène civilisationnel (ou culturel)

a)      grande ou faible portée dans la langue source (extratextuel). On peut parler de contexte extra-linguistique avec une valeur exophorique.

b)     phénomène ponctuel et localisé (intratextuel). On peut parler de co-texte (où la valeur sera endophorique) si le phénomène trouve son éclairage dans le texte lui-même, le contexte linguistique.

texte au sens large englobe discours

4.1.2 La nature escomptée du public cible

a)      initié, pouvant s'informer

b)     non initié

4.1.3 Le genre du texte

Ici, une fiction cinématographique dans le genre polar, film de gangsters des années 50.

 

4.2 Stratégies à mettre en place

 

Quatre types de stratégies devraient être mis en place (le sont-elles dans les sous -titres ?) pour traduire : emprunt, calque, équivalence et explicitation. Les deux premiers types correspondent à un phénomène de grande portée s'adressant à un public large et médiatisé, les deux derniers à un phénomène de faible portée s'adressant à un public d'initiés.

 Il ne faut pas confondre ellipse et élision (marqueur d'oralité où les pronoms personnels et les négations disparaissent) et effacement (implicitation qui consiste à gommer dans la langue cible [français] un ou plusieurs éléments de l'énoncé source non pertinents car redondants). Au niveau lexico-sémantique, cela est fréquent dans le sens anglais- français et se produira automatiquement dans notre corpus puisque le sous-titre, par souci d'économie, va se concentrer sur l'essentiel.

Par ailleurs, nous choisirons la V.O sous-titrée et non une comparaison V.O/doublage afin que les apprenants puissent reproduire le procédé et les comparaisons que nous effectuerons en classe de façon synchrone.

Forts de cette typologie qui reste ouverte, nous nous demanderons si le problème rencontré correspond à une ellipse, et si oui, quel type d'ellipse ?

 

 

4.3 Le corpus lui-même :

 

Nous retiendrons pour notre corpus six scènes et neuf occurrences elliptiques pertinentes à notre sens. Ces occurrences peuvent être classées en quatre types différents.

En 1 et en 2b, deux procédés linguistiques mettent en évidence une ellipse faisant référence à ce que nous nommerons une ellipse culturelle d'ordre rituel : en 1, l'ellipse porte sur un rituel comportemental. En 2b, le rituel est verbal et a un rapport avec l'humour.

En 1, il y a effacement de "more" qui indique en langue source qu'aux E.U, on vous sert du café continuellement pendant le repas, alors qu'on le prend traditionnellement à la fin du repas en France. Le choix est ici de considérer le spectateur comme non-initié. On rate la référence implicite au rituel. Il y a ellipse sur la situation d'énonciation (particularité du contexte américain) à un niveau métadiscursif (connaissances non-linguistiques pour J. Delisle).

En 2b, il y a une transposition de la LS à la LC. En LC, peu de sens est exprimé car le terme ne voit que son article indéfini qui le précède changé en déterminant, alors que la V.O montre une juxtaposition de deux codes ("le" français et "big mac" anglais, comme le feraient des bilingues lors d'une alternance codique, ou des francophones utilisant un emprunt de façon courante). Cette ellipse culturelle passe cependant inaperçue pour les apprenants.

Une discussion en anglais avec l'assistante nous montrera une dimension humoristique incomprise : aux E.U, depuis une décennie, on met "le" devant n'importe quel mot français pour traduire au second degré le français alors qu'on ne le peut pas (on effectue un emprunt à des fins humoristiques). Par ailleurs, énormément de produits se nomment "le" plus un mot français pour le prestige d'une référence culturelle française (les parfums, les cosmétiques…). Ainsi, l'assistante nous explique que ce fameux "le" déclenche l'hilarité aux E.U et non en France, si ce n'est pour des raisons différentes !

Dans les deux cas, le spectateur est considéré comme non-initié.

Ensuite, nous trouvons ce que nous nommerons une ellipse métalinguistique et métadiscursive (à la fois endophorique et exophorique). Le spectateur est considéré comme initié. L'artefact du sous-titrage est maladroitement et indubitablement mis à jour puisque les personnages demandent des traductions de mots anglais et parlent français !! La forme prend le pas sur le sens, les termes sont en mention et non en usage. On peut aussi parler d'autonymie puique les termes sont employés pour eux-mêmes. C'est le cas en 2a. Nous observons un emprunt dans la langue source qui met en évidence non un choix stylistique mais une impasse de la traduction lexicale qui est obligée de mettre en relief le fait que les acteurs parlent en américain. Le problème est dû à la prise en compte du niveau métalinguistique par les interlocuteurs qui traduisent eux-mêmes, en abîme, les mots. Cette lacune du sous-titre qu'on ne peut éviter pourrait être le prétexte à prôner un visionnage en V.O qui évite les écueils du doublage. L'ellipse est due à une absence de signifié en LS.

On évite une entropie de la dimension culturelle américaine ou une équivalence mal venue en gardant les termes tels quels.

La troisième occurrence correspond à une ellipse attitudinale. Le comportement américain est naturel pour le spectateur natif et empêche la personnification chez le spectateur français  qui ressent un sentiment d'étrangeté. Cette mise en évidence de l'arbitraire culturel (assez spontanée) pourra être l'occasion d'une mise à distance des deux cultures (endolingue et exolingue) et de la mise en relief d'un besoin de tolérance vis-à-vis de ce qui est naturel pour nous (ne jamais prendre de charcuterie au petit-déjeuner, mettre de la mayonnaise dans les frites) et insensé pour un natif (et vice-versa). Nous trouvons cela en 2d et en 6. En 2d, le dégoût de Jules laisse le spectateur non-initié perplexe, tout au moins étonné dans un premier temps. En 6, Butch est surpris par le choix de la tarte et non par l'énorme repas salé. Il y a référence au petit-déjeuner anglo-saxon, voir au brunch qui suit une nuit agitée (Butch est en fuite). Il y a un décalage de comportement entre ce que le spectateur français attendrait (qu'il soit tout de suite étonné) et ce qu'il se passe dans le film.

La quatrième occurrence correspond à une ellipse encyclopédique : le spectateur non initié ne connaît pas un terme en LS et ne peut inférer le manque signifiant.

En 2c, nous avons un emprunt ("whopper") dont il faut inférer le lien avec Burger King. Ce lien est d'autant plus difficile à faire que le sous-titrage efface l'explicitation du personnage ("I've not been to a Burger King"). On peut deviner que c'est un hamburger en inférant à partir du co-texte qui peut ici aider le spectateur averti. En effet, l'apprenant découvrira le sens par le biais du contexte linguistique et aura accès à des informations qu'il aura le loisir de se procurer plus tard en post-activité ou durant le visionnage (il peut entendre "Burger King" dans le co-texte  à droite et inférer que le Whopper est le sandwich de Burger King).

En 3, L'ellipse porte sur le signifiant (un dessin qui correspond au terme "square" qui est lui-même polysémique). Il y aura une incompréhension et une incongruence (C. Demanuelli) mais aucune équivalence ! Le spectateur non-initié est perdu. Il faut traduire le dessin "carré" par "square" qui signifie de façon "imagée" "coincé", "rabat-joie" pour un niveau de langue courant et moins familier. Ici, une ellipse d'ordre sémiotique (image et mot, signifié et signifiant) est à l'œuvre et ne peut être comblée que par l'expert anglophone.

Par ailleurs, le réalisateur fait ici référence à un de ses maîtres : J. L. Godard et son goût pour les conventions anti-cinématographiques (en effet, un véritable dessin animé est incrusté dans l'image et dans la narration. Ceci annonce de façon analeptique une scène complète en Manga de "Kill Bill", l'opus de 2004 de Q. Tarentino. Aux apprenants de reconstituer la situation intratextuelle et un phénomène ponctuel (square=carré=coincé), voire de retrouver une référence du réalisateur (et non plus du personnage) à la nouvelle vague (contexte élargi). Nous atteignons ici l'intertextualité et la mise en abîme. En 4, l'ellipse porte sur une connaissance encyclopédique : celle d'une pléiade d'artistes américains des années cinquante. Quelques-uns mondialement connus permettront une inférence situationnelle : le restaurant est un musée vivant.

Mia et Vincent Vega se rendent dans un restaurant de type années 50/60 pour dîner. Le personnel est en fait une reproduction clonée de personnes américaines célèbres qui peuplaient  le rendez-vous télévisé des américains du dimanche soir : le Ed Sullivan Show : le réceptionniste est déguisé en Ed Sullivan, les serveurs en Buddy Holly, Zorro, Dean Martin et Jerry Lewis, Marilyn Monroe et Mamie Van Doren. Mia choisit un steak appelé "Durwood Kurby", un célèbre présentateur.

Sans connaissances encyclopédiques de ces personnages et de l'univers auquel ils renvoient, le spectateur sera perplexe devant l'aspect parodique. Cependant, quelques stars pourront servir à satisfaire le désir de connivence extra-textuelle du réalisateur (Monroe, Elvis ou Zorro). Mia elle-même confond Monroe et Van Doren, ce qui peut être un clin d'œil au spectateur non averti qui ne les reconnaît pas tous mais prend un certain plaisir à essayer de les retrouver. On voit aussi dans ce fait la limite de l'opposition natif/non natif souvent artificielle : en effet, un cinéphile français peut reconnaître plus d'acteurs qu'un américain lambda… Malgré cela, le natif aura un avantage certain sur le spectateur français, c'est à dire, l'élève, qui peut rater toute une dimension connotative à côté de laquelle on passe s'il l'on n'est pas vigilant. Les élèves peuvent faire une recherche biographique sur les personnages en post-activity work

En 5, il y a une référence à la citation d'Andy Warhol non rendue en français. Le sous-titre met en évidence ici une équivalence (peut-être maladroite : ne dit-on pas "heure de gloire" ?). Il est vrai aussi que la valeur de cliché de cette expression soutient l'équivalence, même approximative. La référence métadiscursive relève alors plus de la connaissance de l'initié en général (américain ou français) que d'une problématique interculturelle de traduction. Il y a tout de même une ellipse à combler (on pourrait gloser : "comme l'a dit Andy Warholl").

 

Conclusion

 

Nous avons dans cette étude tenté de démontrer que l’utilisation de l’ellipse dans le discours permettait aux interactants d’établir une certaine connivence entre eux et de se positionner comme membre d’un même groupe. Nous avons par ailleurs utilisé le décodage de l’ellipse dans la perspective de l’acquisition de la compétence culturelle en amenant nos apprenants à se pencher sur des contenus culturels.

Les contenus sont étroitement liés aux objectifs. Nous estimons qu'une congruence entre les objectifs et les contenus apparaît de façon nette : le support, malgré son caractère fictionnel, est authentique. Il donne à voir et à entendre des natifs qui parlent et se comportent d'une manière proche de la réalité (même si les spécialistes discernent des différences de fond : tour de parole respecté, ellipses narratives propres au cinéma et à la littérature…).

Les élèves ont eu accès à une approche comparative reproductible entre deux codes linguistiques et deux manières d'appréhender le "réel". Ils ont été sensibilisés aux différentes manières de se nourrir, de faire référence à une culture commune et de se comporter dans des situations équivalentes. Un regard décentré et critique leur a permis de questionner la langue maternelle et les modèles de représentations qu'elle sous-tend par rapport à la langue étrangère. Cette dernière a été ici plus un objet d'analyse qu'un outil de communication (la langue maternelle fut utilisée pour les analyses les plus fines, ce qui ne constitue pas réellement un écueil puisque l'étude de l'alternance codique démontre que l'on peut acquérir en ayant recours au caractère facilitateur de la LM). Par ailleurs, le niveau parfois faible des élèves n'a pas gêné l'analyse. L'utilisation de la LM  a valorisé des élèves peu à l'aise en anglais mais pouvant faire preuve de culture générale (et de bon sens !) en français.

De plus, l'extrait de film présente des personnages en marge qui demeurent attachant à travers leurs dialogues réalistes : Tarentino fait preuve de son talent en montrant deux gangsters qui discutent de manière banale (comme deux collègues le feraient sur le chemin du travail) excepté que dans ce cas, ils vont assassiner deux brebis gâleuses. Ceci était susceptible d'accrocher les apprenants/spectateurs et l'a été puisqu'ils ont pour la majorité visionner le film postérieurement.

 Quelques objectifs généraux semblent atteints après plusieurs séquences : il n'y a pas de doute sur le fait que la fin la plus générale de l'enseignement de la langue étrangère consiste dans la formation humaine à travers l'acquisition d'idéals et de valeurs éthiques. Cela veut dire que l'enseignement/apprentissage doit s'attacher à la croissance de la dimension humaine, à l'acquisition d'une plus grande ouverture mentale, au respect des autres et de leur culture, à l'acceptation des diversités. L'objectif est ici formatif.

Par ailleurs, une fin pratique-instrumentale a été touchée du doigt et pourra faire l'objet d'une réactivation de l'apprenant en milieu naturel. L'enseignement des langues étrangères doit favoriser l'acquisition d'une compétence communicative qui permet de se servir de la langue de façon adéquate à la situation (langue comme moyen de communication). Les apprenants ont pu se rendre compte de différences comportementales.

Enfin, la fin culturelle est liée intrinsèquement à la fin formative. La langue, en même temps que l'expression d'une culture, est l'occasion de contact avec une autre civilisation. L'enseignement de la langue doit donc viser à l'enrichissement de l'horizon culturel des étudiants. Ces trois fins ne sont certes pas juxtaposées mais, nous l'espérons, auront été entremêlées de manière interactive.

 Nous avons essayé de tenir compte des buts spécifiques, c'est-à-dire des comportements qu'on peut observer, des opérations concrètes que l'élève doit savoir accomplir. Lors de l'analyse postérieure de publicités sur le sandwich de Wendy's ou d'un article tiré du Guardian (lunchbox), les élèves ont mis en évidence des capacités à discuter de manière pertinente certains modèles culturels, à identifier des éléments non linguistiques et non verbaux (pour la publicité), des éléments culturels spécifiques implicites dans la langue étrangère et véhiculés par cette dernière, ainsi que des signes ethnocentriques dans les documents étudiés comme dans leurs réactions. L'assistante est devenue (après deux séances très concluantes) notre personne native ressource qui infirme, confirme ou nuance nos conclusions culturelles. Cette idée de natif-ressource est prolongée par une correspondance par mail avec des Américains adolescents. Nous étudions les réponses et gardons une trace écrite sur le cahier de cours.

Ainsi, ce travail sur l'ellipse d'ordre linguistique et culturel aura permis de reconstruire en partie l'implicite qui crée une connivence et soude la communication. La notion d'ingroup met en évidence le fait que la non compréhension de cet implicite va au-delà de différences culturelles nationales ou ethniques. Elle nous plonge dans la complexité du champ socioculturel. L'ellipse deviendrait le prétexte au décodage d’une énigme,  d'un implicite dont la découverte apporte plaisir, connivence et mise en commun. Par ailleurs, le questionnement de l'ellipse permet de dépasser l'opposition classique entre la classe de langue orientée vers la forme et le milieu non-guidé orientée vers le sens : en essayant de reconstruire l'implicite, forme et sens sont co-construits.

 

Bibliographie :

 

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Kerbrat-Orecchioni, C. (1986) L'implicite, Armand Colin, Paris.

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Puren, C. (1994) La Didactique des Langues Etrangères. à la Croisée des Méthodes. Essai sur l’Éclectisme. Paris. Didier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 1 : corpus

 

1 A little more coffee : un peu de café

2a VINCENT […] Also, you know what they call a Quarter Pounder with Cheese in Paris?

A Paris, comment on dit un Quarter Pounder with Cheese ?

JULES They don't call it a Quarter Pounder with Cheese?

Ben, un Quarter Pounder with Cheese ?

VINCENT No, they got the metric system there, they wouldn't know what the fuck a Quarter Pounder is.

Mon cul! Avec leur système métrique ?

JULES What'd they call it?

Alors ?

VINCENT Royale with Cheese

Royal cheese

2b JULES (repeating) Royale with Cheese. What'd they call a Big Mac?

Et un Big Mac ?

VINCENT Big Mac's a Big Mac, but they call it Le Big Mac.

Pareil. Mais on dit "le" Big Mac .

2c JULES What do they call a whopper ?

Et le Whopper ?

VINCENT I dunno, I didn't go into a Burger King. But you know what they put on French fries in Holland instead of ketchup?

Je n'en sais rien.Tu sais ce qu'on met sur les frites ?

2d JULES What?

Quoi ?

VINCENT Mayonnaise.

De la mayonnaise.

JULES Goddamn!

Les salauds !

VINCENT I seen 'em do it. And I don't mean a little bit on the side of the plate, they fuckin' drown 'em in it.

Des frites noyées dans la mayonnaise.

JULES Uuccch!

3 Don't be a …(elle dessine un carré) : ne sois pas …..

4 Scène du restaurant

5  That was my fifteen minutes : c'était mon 1/4 d'heure de gloire

6 Butch est dans un hôtel avec sa petite amie française . Elle va petit-déjeuner :

Fabienne : I'm gonna have a big plate of blueberry pancakes with erable syrup, eggs and five sausages

Butch : What will you drink with that ?

-To drink, a tall glass of orange juice and a black cup of coffee. After that, I'm gonna have a slice of pie.

-Pie for breakfast ?!

 

 

 

 

 

Annexe 2 : un exemple de séance

 

PULP FICTION

 

I Watch the sequence and make hypothesis : (premier visionnage sans le son)

 

Where does it take place?

How many characters can you see?

What's their nationality ?

What language do they speak ?

How are they dressed ?

What's their job ?

Where are they going to ?

 

II Watch and listen : try to fill in the gaps (second visionnage avec le son sans sous-titre/écoute fractionnée)

 III Fill in the grid (troisième écoute avec le sous-titrage français)

 

A propos de l'auteur

Professeur d'anglais et de français en Lycée professionnel

Doctorant à Saint-Etienne


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