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Philosophie et psychologie personnaliste: Carl Rogers et Emmanuel Mounier

Ecrit par: Frank Margulies
Nombre de lectures: 4228
Nombre de mots: 697

Auteur: Frank Margulies,
Psychologue FSP spécialisé en psychothérapie Zurich (Suisse)
www.praxis-margulies.ch


Les psychologues francophones pensant que l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers (ACP) était quelque peu déconnecté de la philosophie (voir de la psychologie en France et dans les pays francophones) peuvent respirer un bon coup. Car avec Emmanuel Mounier (1905 - 1950), l'on peut découvrir un penseur dont les points communs avec l'oeuvre de Carl Rogers sont tout à fait frappants.

C'est en 1936 qu'Emmanuel Mounier publie un ouvrage intitulé "Manifeste au service du personnalisme" ce qui rappelle fortement le "Manifeste personnaliste" de Carl Rogers, publié en 1977, 41 ans après Mounier. Rogers n'a jamais lu Mounier, mais comme celui-ci s'inscrit dans la philosophie existentialiste et personnaliste d'un Kierkegaard ou d'un Martin Buber, une histoire de pensée commune les unifie malgré eux.

Mounier oppose individualisme au personnalisme, le premier étant clos et hostile à la communauté, le dernier est ouvert au monde et à l'autre. Cela dit, l'opposition n'est pas radicale. Il la conçoit plutôt comme une tension dynamique. C'est ainsi qu'il n'y a pas de zone de l'individu qui ne soit à quelque degré personnalisée et aucune zone de la personne qui ne soit pas aussi individualisée. Cette dialectique est sous-tendue par le corps. Celui-ci est bien présent chez Mounier. "Dans ma condition d'homme, c'est grâce à mon corps que je suis, que je communique avec le monde et avec autrui, grâce à lui j'agis." Cette conception de l’être-dans-le-corps, l’être corporel pour ainsi dire, est très familière des techniques expérientielles comme le focusing de Gendlin. Or, Gendlin était un des très proches collaborateurs de Rogers dans les années 60.
Pour Mounier la personne est bien déterminée par une multitude de facteurs sociaux, mais elle n'est l'est jamais complètement, elle est donc aussi appelée à une vocation libre, la liberté étant toujours un choix du devenir. Pour Rogers, une personne se développant vers le fonctionnement plein, choisit de plus en plus "la conduite qui représente la solution la plus pleinement satisfaisante par rapport à tous les critères internes et externes, actuels et passés qui la déterminent."

Les liens avec Carl Rogers ou encore avec Martin Buber sont manifestes lorsque Mounier déclare que "je ne puis être moi qu'avec l'aide d'autrui." L’ouverture de la personne à l’autre est inhérente à celle-ci. Il insiste et déclare "qu'à aucun moment une conscience n'est capable d'un accroissement d'être sans en être redevable tout d'abord à son dialogue avec une autre conscience." Il me semble que les implications psychothérapeutiques de la pensée de Mounier pour une approche comme la nôtre se trouvent illustrées avec forces par le choix de ces formulations.

Mounier conçoit la personne comme mouvement. "Elle n'est jamais définitivement achevée, elle est recherche permanente d'une unité sentie." Comme Rogers, Mounier parle de la personne en termes de processus, élan de personnalisation. "La personne paraît caractérisée, jusque dans les balbutiements de ses secrétions cachées, par le battement de la vie secrète où elle semble incessamment distiller sa richesse." Nous ne sommes pas très loin de la tendance actualisante puisant son mouvement d'autoactualisation dans l'organisme. La personne, pour Mounier, est une activité vécue, incarnée, d'autocréation.

Mounier a vu les implications profondes de sa pensée sur le plan politique, juridique, économique et social en général. "Toute transformation doit s'inspirer des exigences de la personne. Il s'agit de s'engager pour créer les structures les plus ouvertes à la personne, les plus aptes qui lui revient. Il s'agit donc bien d'une révolution personnaliste à l'opposé d'une révolution qui vise la destruction de l'ordre établi. Rogers parlait d'une révolution tranquille conduite par des gens qui ont eux-mêmes changées.

Les nombreux praticiens rogériens, en thérapie, en pédagogie ou dans les services de conseils et consultations psychologiques, ne connaissent que trop bien le côté à la fois ouvert et subversif, puissant et tranquille de l'approche ACP. C'est de cette transformation que Mounier comme Rogers parlent, indépendamment l'un de l'autre, mais d'un commun esprit. Pour ceux qui cherchent un ancrage philosophique et psychologique de l'ACP avant l'heure de Rogers même, Mounier est une excellente adresse.

Référence
Le Personnalisme, PUF, coll. Que Sais-je ?, n° 395, 2001 (1ère éd. 1950).


A propos de l'auteur

Lic.phil. Frank Margulies
Psychologues spécialisé en psychothérapie FSP
Psychothérapeute SPCP (SGGT), thérapie de couple Zurich

Paartherapie französisch Zürich
Relation d'aide/Psychologische Beratung Zürich


Psychothérapeute à Zurich. Actuel président de la Société Suisse pour la psychothérapie et la relation d'aide centrées sur la personne (sggt-spcp.ch)


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